Vers un design beau et écolo

Le secteur du design n’échappe pas à la prise de conscience écologique. Créateurs et fabricants ont désormais pour équation de concevoir du mobilier durable, de changer le regard sur les matériaux recyclés, sans pour autant perdre de vue la fonctionnalité et l’esthétique.

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Bougeoir Pedra (99,6% de matériau recyclé) issu d’un rebut de carrière, Sam Baron pour Noma Editions – DR

« Il ne faut pas se faire d’illusions. Les consommateurs ne vont pas sacrifier l’esthétique sous prétexte qu’un meuble est fabriqué à partir de matériaux recyclés », prévient Matthieu Bourgeaux, fondateur de la marque Tiptoe, créateur depuis 2015 de mobilier durable. Longtemps, l’écodesign a souffert de son image expérimentale : fauteuil inconfortable en palettes de bois usagées, chaises bringuebalantes en fibre de coco, ou suspensions bricolées en bouteilles plastique recyclées… Mais une nouvelle ère a sonné pour l’écoconception. Si les modes de production invasifs, la « fast déco » et le manque de solutions de recyclage devraient à terme – on l’espère – appartenir au passé, le potentiel durable d’un matériau ne suffit pas à le rendre désirable. Il faut savoir l’interpréter, déjouer ses contraintes, sans oublier les fondamentaux du design : allier la fonction à l’esthétique. À ce titre, le rôle du designer est plus que jamais essentiel.

Bien que l’écoconception implique davantage de temps, de compromis et d’investissements, elle doit être intégrée aux processus de fabrication dès les premières étapes de développement d’un produit. L’une des priorités est de fabriquer du mobilier en plus petite quantité, mais conçu pour être réparable ou réutilisable à long terme. « C’est peut-être plus difficile pour les gros fabricants de meubles car toutes leurs habitudes et leur logistique sont à repenser » constatent Guillaume Galloy et Bruce Ribay, fondateurs de Noma Editions, nouvel éditeur français de mobilier, qui met la question écologique au centre de sa démarche.

Pour la jeune génération en revanche, l’écoconception est une réflexion évidente, totalement intégrée à leur démarche créative. Ces nouveaux acteurs, à l’instar de Matthieu Bourgeaux, prônent un « design frugal », c’est-à-dire peu de modèles avec peu de matières, à l’usage optimal et au design intemporel. Ils privilégient les matières recyclées, les vernis non toxiques, réfléchissent en terme d’économie circulaire, et imaginent des pièces qui soient recyclables et réutilisables…

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Chaise SSD (pour simple, solide et durable) et table à pieds modulables de Tiptoe

À la recherche de nouvelles matières

Quid de l’esthétisme dans cette nouvelle approche ? « Il faut faire oublier la matière au profit du design, ou bien que cette matière soit mise en valeur pour sa beauté intrinsèque. Notre intérieur nous représente, on n’achèterait pas une chaise fabriquée de palettes de bois même si on est d’accord avec la démarche », commentent les fondateurs de Noma Editions. La designer Charlotte Juillard a imaginé pour le duo des fauteuils et des tables basses à partir de plastique, acier et bois recyclés. La coque enveloppante de son fauteuil Art, composé à 82,1% de matériaux recyclés, propose dans sa version colorée un aspect pictural inédit. « Ce fauteuil cherche à valoriser une matière artisanale méconnue créée à partir du recyclage de plastiques provenant de différentes industries. Il s’agit d’une démarche inversée : le moyen induit ici le dessin », explique-t-elle. Le travail du designer est ainsi de savoir s’adapter aux matériaux ou même d’en cacher la contrainte.

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Mobilier en matériaux recyclés (avec leur pourcentage) édité par Noma: chauffeuse LAIME, 79,9% (Charlotte Juillard) ; chaise noire SEN, 93,7% (A + A Cooren) ;
Table basse GHAN, 92,8% (Charlotte Juillard) ; fauteuil ART à coque en plastique, 82,1% (Charlotte Juillard), tabouret multifonction PLAST, 74,9% (Martino Gampa)

Les designers tchèques Boris Klimek et Lenka Adamova ont créé une surprenante collection de luminaires à partir d’un mélange d’éclats de verre récupérés dans l’usine du fabricant d’éclairage Brokis. Une fois triés et taillés, ces morceaux offrent des nuances infinies aux allures de marbre. Ils ont travaillé les formes géométriques pour valoriser ce nouveau matériau mais aussi afin de proposer différentes combinaisons d’éclairage. S’il existe d’intéressantes matières recyclées sur le marché, encore peu sont destinées spécifiquement au mobilier. « Pour le plastique recyclé par exemple, nous ne connaissons que quatre ou cinq fournisseurs en Europe, cela demeure très artisanal », indiquent les fondateurs de Noma Editions.

Pour eux, l’aventure a commencé par deux années de sourcing, au cours desquelles ils ont fait de belles découvertes, telles que les chutes de pierre, les panneaux en papier ou de la céramique recyclée à 99%. Pour Anthony Boule, cofondateur de la coopérative Mu qui accompagne et sensibilise les entreprises du secteur à l’écoconception, « il est important de soutenir et de favoriser ces nouvelles initiatives en achetant les matériaux élaborés par ces fabricants. Ils pourront ainsi développer leur gamme, inventer de nouveaux procédés et satisfaire la demande, la machine sera enclenchée. »

Des créations hautement désirables

En janvier 2020, au salon Maison & Objet, l’architecte d’intérieur Thierry Lemaire, en collaboration avec le spécialiste retail Hubert de Malherbe et le fabricant italien Paolo Castelli, a lancé la marque Greenkiss. Habitués des chantiers haut de gamme et des finitions luxueuses, les trois entrepreneurs ont eux aussi eu envie de s’engager dans cette voie. Ensemble, ils ont fait la découverte de nouveaux matériaux, comme la poudre de ciment et de marbre, le bois de second choix dont les défauts deviennent des qualités, ou les mousses écologiques et les chutes de tissus pour leur canapé…

Même enthousiasme chez Revol, manufacture de porcelaine installée dans la Drôme depuis plus de 250 ans et gérée en famille depuis neuf générations. Revol a élaboré une pâte inédite à partir des déchets de l’usine. « Dans le processus classique de fabrication, il y a de la perte. Nous collectons les eaux souillées de l’usine et les faisons décanter. De là naît une boue, transformée en galettes inutilisables et jusqu’ici destinées au secteur de la cimenterie. Nous nous sommes demandés comment faire de cette boue, constituée exclusivement de matières minérales naturelles, une matière exploitable », témoigne Olivier Passot, son PDG.

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No.W de Revol, collection d’arts de la table produite à partir d’eau, de pâtes et d’émaux recyclés – Franck Hamel DR

Plus de deux ans de recherche ont été nécessaires pour trouver la bonne formule. Pionnière d’une porcelaine 100% recyclée, cette nouvelle pâte baptisée Recyclay est la plus belle innovation du secteur depuis ces dix dernières années. Pour autant, pas question pour Revol de faire l’impasse sur le design. Fabriquée à partir de cette nouvelle pâte, la collection d’arts de la table baptisée No.W n’est certes pas signée d’un grand designer, mais l’intention créative est ici fondée sur l’authenticité et la simplicité, en résonance avec le process. La marque connaît avec cette collection un beau succès commercial. En plus d’être écoconçue, elle est hautement désirable.

Un étonnant mélange de couleurs

La pierre réserve elle aussi de belles surprises. Les Marbreries de la Seine, spécialistes des matières minérales, fabriquent, éditent et diffusent du mobilier de designers émergents. Pour la collection en édition limitée Dolce, le designer Francesco Balzano a choisi le Quatre Saisons Printemps, un marbre extrêmement texturé et coloré provenant des Pyrénées françaises. Pour Jean-Pascal Morvidoni, dirigeant des Marbreries de la Seine, « le minéral est une ressource inépuisable, la dépense énergétique est moindre que pour la céramique par exemple, il n’y pas non plus de déforestation ». Il va même jusqu’à affirmer  : « C’est peut-être l’un des matériaux les plus écologiques du marché. »

Ici la matière première offre un étonnant mélange de couleurs, allant du pastel au vert profond, n’ayant pas besoin d’ornements supplémentaires. Tous ces élans créatifs et raisonnés sont autant de raisons de croire en une meilleure offre globale dans les prochaines années. L’écodesign, à la fois beau et vertueux, ne constituera plus seulement une alternative pour écolos affirmés mais une proposition à part entière pour tous les amateurs de design.

Vert et haut de gamme

Certaines grandes enseignes, Ikea en tête, ont certes démocratisé le design mais ont aussi répandu l’idée qu’une table basse pouvait ne coûter que 10 euros. « La conséquence, c’est que nous n’avons pas de problème à acheter trois paires de baskets à 100 euros dans une même année, mais nous hésitons face à l’achat d’une chaise à 300 euros qu’on gardera toute une vie », relève Matthieu Bourgeaux, fondateur de Tiptoe. Le mobilier écoconçu est aujourd’hui principalement haut de gamme, à l’exception de rares marques qui misent sur un design ultra-minimal. Une des raisons de ces prix onéreux est l’insuffisance de matériaux recyclés matures destinés à l’ameublement. Plus cette filière sera encouragée et productive, plus il y aura de mobilier écoconçu abordable sur le marché.

Source: lesechos.fr

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