Vers une Horlogerie responsable

Watches & Wonders a révélé son lot de montres à cadran vert. Une belle couleur mais qui retranscrit mal l’engagement écologique de l’industrie horlogère, toujours très conservatrice et peu encline à réinventer son modèle de production séculaire. Jusqu’à aujourd’hui ?

« Les horlogers aiment prendre leur temps ». L’antienne a été usée jusqu’à la corde par les marques et manufactures, comme une apologie, autant qu’une garantie, de « bienfacture », ce terme qui n’existe…qu’en Suisse.

Pourtant, lorsque le monde est assailli d’impératifs écologiques, « prendre son temps » n’est plus une option. L’heure, même certifiée par le COSC, n’est plus à bombyciner. Un changement radical de paradigme s’impose pour que le luxe horloger ne soit pas seulement « éco compatible » mais tout simplement « responsable ». Et c’est précisément parce qu’une montre de luxe traverse les générations qu’elle est pleinement redevable, envers elles, d’être irréprochable en matière d’éthique. Qui voudrait transmettre à ses petits-enfants une montre sertie de diamants de sang, confectionnée dans un or extrait au cyanure, portée par un bracelet en peau d’une espèce protégée ?

Les pionniers

La sévérité de cet impératif a été anticipée par quelques rares marques et labels visionnaires. Le principal : le Responsible Jewelery Council, ou RJC. Il certifie le caractère responsable de pierres utilisées (notamment) en horlogerie. Le Swatch Group en est membre depuis 2015, via son entité Swatch Group Gems. Richemont, depuis 2005. Ni Rolex ni Patek Philippe ne le sont, alors que les maisons du groupe LVMH (Hublot, Zenith, par exemple) le sont à titre individuel. Jaquet Droz est l’une des dernières maisons horlogères à l’avoir rejointe à titre individuel, en décembre dernier.

Pourtant, les pierres ne représentent qu’une infime fraction du poids, du volume et de la valeur d’un autre composant clé de l’horlogerie, et lourd d’une extraction très discutée : l’or. Une marque a pris les devants pour s’assurer que sa production soit éthique : Chopard. L’horlo-joaillier a déclaré qu’à partir de 2018, l’intégralité de ses productions serait en or éthique, labellisé Fairmined. Cette certification garantit que l’or est extrait selon des conditions humaines, économiques et environnementales qualitatives.

De l’or Fairmined versé dans le four, Chopard.

Scandale en Tessin

L’exercice est relativement aisé pour Chopard car elle est l’une des rares marques à avoir sa propre fonderie, comme Rolex. Pour les autres, il faut passer par des tiers, lesquels ne sont pas toujours à l’abri d’un scandale. Ainsi, Ii y a quelques mois, un raffineur du Tessin a vu de l’or sale entrer à son insu dans son circuit de production par l’un de ses sous-traitants. Indirectement, les marques horlogères et joaillières travaillant avec lui ont été éclaboussées.

Ces initiatives ont également un coût qui se retrouve dans le prix final des montres. A ses débuts, Chopard l’estimait à +20% et acceptait d’en prendre la moitié à sa charge. Les clients ont suivi pour solder le reste. Aujourd’hui, 100% des pièces en or Chopard sont Fairmined et les clients ont suivi.

L.U.C Tourbillon QF Fairmined, Chopard.
Boitier brut après estampage, Chopard.

Un sujet à prendre en amont

Si l’assurance de matériaux responsables est une bonne chose, une meilleure est d’en limiter tout simplement l’usage. Prenons le cas de l’or : responsable, c’est bien, recyclé, c’est mieux. Il en va de même pour l’acier, voire le titane. A ce registre, les horlogers sont nettement moins avancés. Pourtant, une société comme Panatere adresse ces sujets de longue date.

De même, il existe de multiples manières de s’approvisionner en or. Il y a l’or industriel minier, tel qu’extrait au Canada et aux États-Unis. Ensuite, l’or recyclé, issu des industries électroniques. Les affineurs traditionnels sont en train de se structurer pour en proposer de manière plus systématique mais il est encore 5% à 10% plus cher que l’or extrait. Enfin, il y a l’or de type Fairtrade, Fairmined ou SBGA, mais ses volumes sont insuffisants pour le marché : quelques tonnes par an, un faible pourcentage de ce qui est consommé par le secteur du luxe.

Petite porte

A défaut de ne pas (encore) prendre ces chemins vertueux, les horlogers entre dans l’éco-responsabilité par la petite porte : celle du packaging. Là, les progrès sont plus visibles, à défaut d’être substantiels pour la planète. Notons l’initiative intéressante d’Alpina pour sa récente Seastrong Gyre : une contre-boîte en papier FSC Mixte abritant un écrin entièrement fabriqué en plastique recyclé (ABS) dont le garnissage est constitué de bouteilles en plastique recyclées (rPET). Ce coffret est complété d’un dépliant unique (garantie et certificat d’authenticité) imprimé sur du papier FSC recyclé. Pour réduire encore son empreinte écologique, Alpina a également fait le choix d’un mode d’emploi dématérialisé, accessible par un QR code.

A ses côtés, citons l’écrin très minimaliste de SevenFriday, une autre manière de concevoir un objet en bois, recyclable dans son matériau…comme dans son usage ! Breitling, pour sa part, a conçu un écrin recyclé qui s’envoie « à plat » à ses filiales, réduisant l’empreinte écologique de son expédition. Enfin, Maurice Lacroix semble être la première à avoir développé pour une Eliros un écrin en Pinatex, un « cuir » végétal intégralement réalisé en cuir d’ananas.

Ziliox, Maurice Lacroix.

Ecrin, Seven Friday.

Et pour un ananas de plus…

Ce « cuir » végétal, les horlogers commencent à y songer. Ils l’utilisent déjà pour certains bracelets ou packaging. La crainte de ne pas aller au-delà et de ne pas satisfaire à une image séculaire du « luxe » ? Pourtant, Tesla est passée au « cuir » végétal depuis 2016, et cela ne l’a pas empêché de devenir numéro 1 mondial du véhicule électrique, tarifé parfois 150’000 dollars l’unité.

Verra-t-on une logique similaire avec diamant de synthèse ? C’est peu probable. Déjà, parce que les capacités de production sont encore faibles, beaucoup trop faibles, pour le marché horlo-joaillier. Ensuite, parce que la barrière sociologique du « faux diamant » est pour le moment trop haute à franchir pour des collectionneurs très conservateurs.

Reste à espérer que, pour une fois, ce soit le marketing horloger qui puisse changer positivement la donne, en lui trouvant un autre nom. Diamant « de synthèse », « de laboratoire », « artificiel » ont bien peu de chances de s’attirer les grâces d’une bague de fiançailles ou d’un diadème Cartier. Bientôt l’avènement du « diamant responsable » ? Ce serait une bonne chose : c’est ce qu’il est.

L’exception Panerai

A Watches & Wonders, Panerai a présenté une eLab-ID dont 98,6% du poids est en matériaux recyclés. Jamais un tel niveau ni un tel degré de précision n’avaient été atteints. Même si la montre n’est éditée qu’à 30 exemplaires et vendue 60’000 euros, la manufacture marque un point d’image important, couplé au fait qu’elle a publié la totalité des partenaires avec laquelle sa pièce fut conçue et réalisée. Un exemple à suivre !

eLab-ID, Panerai Submersible.

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